Après la recherche du bonheur
Fiche
| Titre | Pluribus | Titre VO | – |
|---|---|---|---|
| Créateur | Vince Gilligan | ||
| Acteurs | Rhea Seehorn, Karolina Wydra, Carlos-Manuel Vesga | ||
| Saison | 1 | Nombre d’épisodes | 9 |
| Date de sortie | 26 / 12 / 2025 | Durée | 42 à 62 mn |
| Genre | Drame, Science-fiction | Chaîne | Apple TV |
Alors que le bonheur menace la Terre, tous les espoirs reposent sur le plus malheureux des humains.
Critique
Pluribus est un mot latin qui signifie « plusieurs ». Il est notamment utilisé dans la devise traditionnelle des États-Unis : E pluribus unum (« De plusieurs, un »). Une formule qui renvoie justement à l’intrigue de la nouvelle série du créateur de Breaking Bad, dans laquelle on retrouve la star du spin-off Better Call Saul : Rhea Seehorn.
Tiens, Vince Gilligan fait une série de science-fiction. Cela pourrait surprendre si l’on ne sait pas qu’il a justement débuté sa carrière dans la SF, en écrivant une trentaine d’épisodes pour la série X-Files : Aux frontières du réel.
La SF selon Gilligan
L’idée de Pluribus lui est venue sur Better Call Saul, en imaginant ce qui se passerait si un homme avait tout ce qu’il voulait. Il a finalement mis ce concept de côté avant d’y revenir, avec l’envie de tenter quelque chose de nouveau après le diptyque Breaking Bad / Better Call Saul. En revanche, pas question de quitter le Nouveau-Mexique, Vince Gilligan souhaitant retravailler avec la même équipe, dont beaucoup vivent dans la région. Pour l’anecdote, on aura même droit à un caméo du véritable maire d’Albuquerque.
Arrivé à ce stade de la critique, je n’ai envie de dire qu’une seule chose : allez voir la série sans rien en savoir, si possible. Ce n’est pas anodin si le synopsis, ou même la bande-annonce, restent volontairement flous. C’est un choix assumé, afin de préserver ce plaisir — trop rare — de la découverte. En ce qui me concerne, j’ai pris une véritable claque dès le premier épisode, en découvrant où Gilligan souhaitait nous emmener.
Faire confiance au spectateur
Juste un petit mot avant de bifurquer vers la partie avec spoilers. Lorsque j’ai publié un post sur ma page Facebook indiquant que la série détenait désormais le record de la série la plus regardée sur Apple TV, beaucoup ont affirmé qu’il ne se passait rien dans Pluribus. Je suis en total désaccord. Il s’y passe énormément de choses. Simplement, les enjeux sont davantage spirituels que fondés sur de l’action pure et dure. Car, effectivement, il n’y a aucune scène d’action — si l’on excepte la grande séquence du premier épisode.
Pluribus déroute en refusant de faire comme les autres. En évitant un travers que de plus en plus de productions accumulent, à mon goût : prendre le spectateur pour un idiot, ou considérer qu’il ne regarde la série que d’un œil distrait. Il suffit de voir la dernière saison de Stranger Things, polluée par des dialogues parasites — ceux qui décrivent ce qui se passe à l’écran ou qui résument inutilement la situation. C’est tout simplement insupportable.
Comme le dit Vince Gilligan :
« Cette idée reçue selon laquelle le public aurait une capacité d’attention très limitée revient en fait à dire qu’il est stupide. Et ça, je me refuse à le croire. »
Dès lors, Pluribus fait un bien fou. Même s’il n’y a pas forcément beaucoup de dialogues, il se passe énormément de choses à l’écran. Des éléments qui poussent, de surcroit, constamment le spectateur à réfléchir. Mais pour aller plus loin, il va désormais falloir entrer dans la partie avec spoilers. Vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous n’avez pas encore vu la série.
Attention, spoilers à partir d’ici.
L’invasion la plus douce de la télévision
On pourrait facilement résumer Pluribus comme une adaptation pacifique du classique L’Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers). On y suivait Miles Bennell, médecin de la petite ville de Santa Mira, qui s’apercevait peu à peu que les habitants de cette bourgade tranquille se transformaient en êtres dénués de toute émotion. Il découvrait ensuite que des extraterrestres s’emparaient, pendant la nuit, du corps de ses concitoyens.
Il est également ici question d’un virus extraterrestre. Tous les habitants de la Terre sont désormais transformés… Tous ? Non ! Car quelques individus résistent encore et toujours à l’envahisseur. Enfin, certains ne voient pas d’un mauvais œil l’idée de les rejoindre. C’est là la grande force de la série. Les envahisseurs sont totalement pacifiques et ne font aucun mal. Ils ne sont même pas capables de mentir, ce qui donne naissance à des situations particulièrement cocasses et génialement drôles (le caméo de John Cena, je ne m’en suis pas remis). On est ici à contre-pied de la grande majorité des œuvres de science-fiction, où la violence prédomine — à l’exception de l’hilarant incident de la grenade.
Il y a également cette intéressante dichotomie entre la volonté de préserver son individualité et celle de rejoindre un collectif plus vaste, où le bonheur semble assuré. La série ne donne aucune réponse tranchée, en exposant des arguments convaincants des deux côtés : c’est au spectateur d’entamer sa propre réflexion.
Une héroïne ordinaire dans une situation extraordinaire
La grande force de Pluribus réside également dans son héroïne pas vraiment héroïque : Carol Sturka. Rhea Seehorn l’interprète de manière phénoménale, ce qui n’a pourtant rien d’évident, puisqu’elle porte à elle seule une très grande partie de la série et que son personnage est loin d’être sympathique. Mais l’actrice lui insuffle une telle humanité que je me suis attaché à elle. Surtout, jamais ses réactions ne paraissent disproportionnées. Elle agit comme quelqu’un de normal, comme je le ferais sans doute en grande partie (même si j’aurais probablement profité de la situation pour tenter de grappiller quelques secrets, comme savoir qui a tué Kennedy ou ce qui se cache réellement dans la Zone 51).
Quel plaisir donc de suivre un personnage authentique plongé dans une situation extraordinaire. On peut en dire autant des deux autres acteurs, Karolina Wydra et Carlos-Manuel Vesga, avec une mention particulière pour la première, qui impressionne par sa manière d’incarner « les autres » à travers une béatitude sans faille.
Pour le reste, on retrouve tout le génie de Breaking Bad et Better Call Saul à travers une réalisation et une écriture aux petits oignons — le soin apporté aux décors comme aux « envahisseurs » est tout simplement fabuleux — ainsi qu’un final qui donne furieusement envie qu’Apple TV donne rapidement le feu vert à une deuxième saison.
Par Christophe Menat ravi que la télévision puisse encore le surprendre.
Conclusion
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Pluribus est une série de science-fiction à contre-courant, intelligente, drôle et profondément humaine. Si elle peut parfois dérouter par son rythme ou par l’absence d’action spectaculaire, elle compense largement par la richesse de ses idées, la finesse de son écriture et la performance phénoménale de Rhea Seehorn. Une œuvre qui fait confiance à l’intelligence du spectateur, refuse la facilité et prouve, une fois encore, que Vince Gilligan est un auteur à part. |
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