Critique : Lincoln

La roublardise de l’homme au haut-de-forme

Fiche

D’après la biographie Team of Rivals: The Political Genius of Abraham Lincoln de Doris Kearns Goodwin
Titre Lincoln
Réalisateur Steven Spielberg
Scénariste Tony Kushner
Acteurs Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn, Joseph-Gordon-Levitt, James Spader, Hal Holbrook, Tommy Lee Jones, John Hawkes, Jackie Earle Haley
Titre original Date de sortie 30 janvier 2013
Pays États-Unis, Inde Budget 65 000 000 $
Genre Biographie, Drame, Histoire, Guerre Durée 2h29
Les derniers mois tumultueux du mandat du 16e Président des États-Unis. Dans une nation déchirée par la guerre civile et secouée par le vent du changement, Abraham Lincoln met tout en œuvre pour résoudre le conflit, unifier le pays et abolir l’esclavage. Cet homme doté d’une détermination et d’un courage moral exceptionnels va devoir faire des choix qui bouleverseront le destin des générations à venir.

Critique

Lincoln et Spielberg, c’est une histoire qui remonte à des années (un sacré paquet même). Le papa d’E.T. a toujours été fasciné par le président au haut-de-forme mémorable surtout la première fois où il le vit assis sur son trône de pierre au Lincoln Memorial. Maintes fois annoncé (depuis 2005), jamais vraiment commencé (le belge Tintin et le cheval de guerre sont passés par là), le film Lincoln traînait sa carcasse au gré des rumeurs et on pensait qu’il s’agissait d’un fantasme mort-né, un peu comme le Battle Angel de James Cameron (adaptation du manga culte Gunm). On avait même parlé de Liam Neeson pour jouer Abraham Lincoln avant qu’il ne soit jugé trop vieux.

Mais pendant ce temps-là, l’auteur Tony « Munich » Kushner, lauréat du prix Pulitzer, soignait le scénario de Lincoln notamment en se basant sur le livre de Doris Kearns Goodwin. Un premier jet de 500 pages a même vu le jour. Spielberg a avoué être admiratif de ce scénario seulement il a aussi déclaré qu’il était irréalisable et n’en a retenu que 70. 70 pages s’intéressant à la lutte pour l’adoption du 13ème amendement. Le projet Lincoln by Spielberg était né…

Au lieu de faire un panorama sur la vie de Lincoln, le cinéaste américain ne s’intéresse qu’à ses quatre derniers mois. Une période où est née à sa plus belle œuvre même si on a voulu nous faire croire qu’il s’agissait de son combat contre les vampires. Le résultat est une œuvre assurément politique et peu intimiste hormis sur quelques séquences approfondissant les relations du président et sa famille. Des séquences d’ailleurs émouvantes notamment celle où il se confronte à sa femme à propos de leur enfant disparu. Un enfant dont on a voulu nous faire croire qu’un vampire l’avait tué.

De ce pamphlet contre l’esclavage (décidément, c’est un sujet à la mode après Django Unchained) découle un impressionnant nombre de personnages (plus de 140 au compteur et pas de la merde, hein). On retiendra notamment Daniel Day-Lewis évidemment impeccable et totalement effacé derrière son personnage. C’est simple, on ne voit plus l’acteur, on ne voit plus que Lincoln. Aussi sa femme dans le film, Sally Field, pour la confrontation dont je vous parlais au-dessus. Tommy Lee Jones pour l’un des meilleurs passages du film (et comment ne pas succomber devant sa moue de bulldog battu). Lee Pace pour la vigueur avec laquelle il se déchaine POUR l’esclavage (quand on a en mémoire le personnage tout mignon qu’il incarnait dans la série Pushing Daisies, ça fout un choc). Je n’oublie pas non plus James Spader, vraiment très drôle (il n’est pas apparu dans The Office pour rien) et le gamin flippant de Dark Shadows, Gulliver McGrath.

La reconstitution historique est également impressionnante toutefois si ça manque un pet de batailles (un gros pet même). Malgré la tournure politique de ce Lincoln, j’espérais une immersion le temps d’un passage dans la guerre de Sécession à la Il faut sauver le soldat Ryan, chef d’œuvre toujours inégalé de nos jours. A la place, on aura juste quelques plans furtifs et une scène d’ouverture. Quel dommage ! Cela aurait pu permettre de dynamiter la première heure d’exposition un poil longue et lente. Car il faut s’accrocher durant cette partie où nous sommes noyés devant le flot de personnages surtout quand on est une bille comme moi sur cette partie de l’histoire américaine. Malgré tout et heureusement, le réalisateur a toujours autant de talents pour exposer les enjeux et quitte à légèrement ennuyer le spectateur, Spielberg a le mérite de rendre l’intrigue limpide. Un point à souligner car peu évident.

Pour ceux ayant réussi à ne pas dériver vers d’autres cieux (du sommeil notamment), ils bénéficieront d’une deuxième heure intrigante devant le talent méconnu du président pour la chose politique. Je connaissais peu l’œuvre de Lincoln, juste les grandes lignes (abolition de l’esclavage, haut-de-forme, barbe, fils mort, se fait buter au théâtre, guerre de Sécession et ses talents de chasseur de vampires, ah non, ça c’est des conneries, me souffle-t-on à l’oreille) du coup, j’ai été grandement surpris de voir les moyens employés pour faire passer son amendement. Des procédés par ailleurs complètement illégaux à son époque. Lincoln a même profité des failles du système, témoignage de son passé d’avocat. Un beau panel de magouilles et de mensonges heureusement récompensé par une belle leçon d’humanité et de l’abolition de cette monstruosité qu’est l’esclavage. Comme quoi, la vraie Histoire n’est pas forcément celle racontée à l’école : le grand Lincoln avec son chapeau a dit: « l’esclavage, ça suffit » et a fait passer un amendement pour la supprimer.

De la salle, j’en suis ressorti avec une question. Vu que les magouilles du président Lincoln ont permis la construction d’une belle chose. Pouvons-nous cautionner que nos hommes politiques procèdent de la même manière? Et si un homme politique utilisait les mêmes moyens que Lincoln pour faire reculer la pollution afin de sauvegarder notre belle bille bleue ayant désormais tendance à virer au gris? Car à y réfléchir, nous polluons beaucoup trop. Nous scions avec vigueur la branche sur laquelle nous sommes assises. Bref, nous détruisons notre planète pourtant nous continuons à vivre sans rien changer à nos habitudes ou si peu. Un tel constat n’est-elle pas similaire à l’esclavage? Notamment en recueillant le témoignage du peuple survenant très tôt dans Lincoln, ces gens-là étaient près à continuer d’accepter l’esclavage si cela permettait d’arrêter la guerre. Après tout ? Pourquoi se sacrifier pour ces « nègres » ? Pourquoi se sacrifier pour la planète ? On parle de la vie ici… Si un homme politique serait aussi audacieux que Lincoln pour faire passer une loi pour la sauvegarde de la planète, serait-il lynché ou récompensé ? A méditer.

Conclusion

Lincoln est une œuvre qui n’atteint pas des sommets mais offrant suffisamment d’attraits pour mériter un visionnage, ne serait-ce que pour avoir un aperçu de cette période trouble et de son combat politique (ou plutôt de sa roublardise politique).
+ – Daniel Day-Lewis
– vision intéressante de l’époque
– les dessous de la politique de Lincoln
– un poil longuet durant la première heure
– guerre de Sécession en arrière-plan
7/10
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