Critique : Frankenstein (2025)

L’œuvre rêvée de del Toro

Fiche

Titre Frankenstein Titre VO
Réalisateur Guillermo del Toro Scénariste Guillermo del Toro, d’après le roman de Mary Shelley
Acteurs Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Christoph Waltz, Charles Dance, Felix Kammerer, David Bradley, Lars Mikkelsen, Christian Convery
Date de sortie07 / 11 / 2025 (Netflix) Durée2h 29
GenreDrame, Fantastique, Horreur, Science-fiction Budget120 000 000 $

Le cinéaste primé aux Oscars Guillermo del Toro réinvente le classique de Mary Shelley sur un chercheur scientifique brillant et la créature née de son ambition monstrueuse.

Critique

« Je vous jure que, dès que Boris Karloff franchit le seuil et que ses yeux sont en extase — ils regardent vers le haut comme [la sculpture de] Sainte Thérèse par Bernini — j’étais comme Paul sur la route de Damas. J’ai été frappé. Je me suis dit : “C’est lui qui va donner sa vie pour mes péchés. C’est celui dont parle la Bible.” Je me suis dit : “C’est le Messie qui a été promis.” La manière dont le martyr est présenté dans la Bible est vraiment difficile à comprendre quand on est enfant, mais il y avait un état de grâce dans la manière dont Boris incarnait la Créature. Et je me suis dit : “Il ne va pas tenir.” Je me suis dit : “Une telle pureté ne peut pas durer dans le monde des hommes.” Et bien sûr, cela n’a pas duré. »

Guillermo del Toro, racontant la première fois où il a vu la Créature de Frankenstein incarné par Boris Karloff, à The Hollywood Reporter.

Depuis, le réalisateur mexicain rêve d’adapter à son tour le roman de Mary Shelley. Un projet qu’il traîne depuis longtemps, au même titre que son Les Montagnes hallucinées inspiré du roman de Lovecraft. Désormais, grâce à Netflix, son rêve devient réalité — et on peut dire qu’il en valait la peine.

Un conte gothique somptueux

Avant de voir ce Frankenstein, j’ai lu l’excellent livre de Paul Hébert, L’œuvre de Guillermo del Toro : L’art magique du cinéma, qui m’a permis de mieux comprendre le langage visuel du cinéaste. Notamment son usage des couleurs, qui traduit l’état intérieur des personnages. J’ai donc prêté attention à ce détail pendant le film, et le résultat est bluffant : on peut presque deviner la nature d’un personnage rien qu’à ses teintes — l’introduction des personnages de Christoph Waltz et de Mia Goth en est un parfait exemple.

La direction artistique, comme souvent chez del Toro, est un régal absolu. Les décors, les costumes, tout respire le soin et la beauté. Mention spéciale aux cercueils et aux robes d’Elizabeth, d’une élégance renversante. Et en regardant le making-of, on découvre à quel point del Toro et son équipe ont privilégié les effets pratiques — ce qui donne au film un cachet artisanal irrésistible.

Mais tout n’est pas parfait. Les effets spéciaux numériques, eux, jurent franchement. Ils tombent comme un crachat dans la soupe et brisent notre suspension consentie de l’incrédulité. De plus, l’image est parfois trop propre, trop numérique, ce qui empêche de croire à l’époque représentée. Ce dernier reproche est un peu bizarre, je l’admets, mais je n’ai pas pu m’en empêcher.

Astier avait raison

Autre souci : les dialogues. Quand un personnage est sur le point d’y passer, il trouve encore la force de déclamer de longues tirades lyriques, comme s’il récitait du Victor Hugo sur son lit de mort. Alexandre Astier en parlait justement à propos de Kaamelott : il n’y croit pas, car personne ne s’exprime comme ça dans la vraie vie et je suis d’accord avec lui.

Dans Frankenstein, c’est notable avec la Créature. Résultat : à des moments censés être poignants, je me suis surpris à pouffer de rire en voyant un mourant gravement blessé sortir une prose parfaite, alors qu’il devrait hurler ou supplier qu’on l’abatte comme un cheval de course qu’a raté une haie (dédicace à Pignon).

Voilà pour les principaux défauts.

Le Prometheus moderne

Enfin, il en reste un, mais c’est anecdotique. Le look de la Créature, qui m’a laissé légèrement perplexe au premier abord. À l’origine, Andrew Garfield devait endosser le rôle, mais il a dû abandonner, remplacé en urgence par Jacob Elordi. L’équipe de maquillage avait passé neuf mois à modéliser Garfield, et n’a eu que quelques semaines pour refaire le design pour Elordi. Grosse pression. Ce n’est pas ce qui me dérange, c’est juste de l’anecdote cinéphile. Ce qui m’a laissé perplexe, c’est l’étrange ressemblance avec l’Ingénieur de Prometheus (2012). Cocasse quand on sait que le roman de Mary Shelly a pour titre Frankenstein, ou le Prométhée moderne.

En tout cas, Jacob Elordi s’en sort brillamment. Déjà par sa patience, en effet, le costume demandait près de dix heures d’application. Mais aussi pour sa prestation. L’acteur a étudié la danse japonaise butoh pour la gestuelle de son personnage. Le résultat est fascinant : on a vraiment l’impression d’un corps composé de morceaux mal ajustés, en parfaite cohérence avec l’idée du mythe.

Autre surprise : la Créature dispose d’un facteur auto-guérisseur — pas aussi efficace que celui de l’Arme X, mais suffisant pour impressionner. Et quelle puissance ! Chaque affrontement est une démonstration de force brute. On est sur du Dents-de-sabre. Mention spéciale à la mâchoire arrachée. Et j’ai adoré la référence à Death Stranding lors de la naissance de la Créature.

Charles Dance, père pour la deuxième fois

Côté émotion, j’ai eu un peu de mal à cause de cette fameuse suspension de l’incrédulité, mais j’ai quand même été touché, notamment par la relation entre Victor Frankenstein et sa créature.

Oscar Isaac livre un excellent Frankenstein, dans un triple rôle fascinant dû à la narration qui mêle trois points de vue différents. Un exercice schizophrénique n’ayant rien de compliqué vu qu’on parle du Moon Knight. Petite anecdote : le père de Victor est joué par Charles Dance, déjà son père… dans Docteur Frankenstein (2015) et dont la prestation rappelle beaucoup celle qu’il avait livré dans Game of Thrones.

Au final, j’ai beaucoup apprécié cette version du mythe. Guillermo del Toro livre, avant tout, une œuvre sur la paternité, à deux niveaux : entre Victor et son père, puis entre Victor et sa créature. Deux heures et demie qui passent à toute vitesse, pour une expérience à la fois bouleversante et somptueuse. Je crois bien qu’on parle de la meilleure adaptation cinématographique de Frankenstein.

Par qui attend maintenant les Montagnes Hallucinées.

Conclusion

Malgré quelques ratés visuels et dialogues grandiloquents, Guillermo del Toro livre une œuvre sublime, sincère et profondément humaine. Probablement, la meilleure adaptation du roman de Mary Shelley.

+

  • Oscar Isaac excellent
  • Jacob Elordi impressionnant
  • Un univers visuel somptueux
  • Une vraie émotion dans la relation entre Victor et la Créature

  • Des effets numériques ratés
  • Une image trop propre
  • Une suspension de l’incrédulité mise à rude épreuve
8/10
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