Critique : Pauvres Créatures

Ayant adoré La Favorite (2018), j’étais très curieux de découvrir le nouveau Yórgos Lánthimos. D’autant plus qu’il retrouve, de La Favorite, Tony McNamara au scénario et Emma Stone devant la caméra. Cette fois-ci, pour adapter le roman éponyme écrit par Alasdair Gray et publié en 1992.

Un projet d’adaptation ayant débuté il y a quelque temps, Yórgos Lánthimos a raconté qu’il s’est rendu en Écosse en 2009 pour parler avec Alasdair Gray de l’acquisition des droits de son roman Pauvres créatures : « C’était un homme plein de charme. Malheureusement, il est décédé quelques années avant le tournage du film, mais il était très spécial et énergique ; il avait [alors] 80 ans et à mon arrivée, il venait de voir Canine et il a dit : ‘J’ai demandé à mon ami de mettre le DVD, parce que je ne sais pas comment faire fonctionner ces machines, mais je pense que tu es très talentueux, jeune homme' ».

Finalement, suite au succès critique et commercial de son dernier long-métrage, il a enfin eu la liberté de le mettre en scène.

Un conte visuellement envoûtant

Bref, lorsque j’ai découvert la bande-annonce, j’ai été fasciné par les images sublimes qui donnaient l’impression de regarder un conte. J’étais donc ravi de constater que le long-métrage réussissait le tour de force d’offrir tout du long des images d’une beauté rarement vue au cinéma. Et cela débutait dès le premier plan.

Sans oublier les excellentes idées, comme de « commencer » en noir et blanc pour illustrer la vue de Bella. Les bébés ne percevant pas les couleurs durant leurs premiers mois. Par contre, la démarche de Bella qui singeait celle du bébé était très curieuse. Tout du long, je me suis demandé si elle se foutait de la gestuelle de C-3PO ou comment ça se passe ? Sans oublier, la dance façon Mercredi. Bref, ce n’était pas une grande réussite.

Quand la pédophilie débarque au dîner

Par contre, j’ai eu beaucoup de mal avec l’histoire. Son point de départ m’a mis mal à l’aise quand le sexe vient s’inviter dans l’aventure. En effet, l’héroïne est une jeune fille récemment née et dont le cerveau a été placé dans le corps d’une adulte. Du coup, quand on voit des adultes coucher avec elle, cela invite la pédophilie au buffet.

Petite interlude. Après le visionnage, j’ai regardé sur le net pour essayer de comprendre pourquoi les proches de Bella ne sont nullement gênés à l’idée qu’elle ait des relations sexuelles (surtout que c’est abordé de manière crue, on est au niveau du film érotique du dimanche soir sur M6 dans mon adolescence). Emma Stone a indiqué au Times : « Si je peux me permettre, en tant qu’actrice principale et productrice du film, je ne vois pas Bella Baxter comme une enfant ». Euh, certes elle n’a pas l’apparence d’une enfant, mais mentalement, elle l’est… Et c’est traduit explicitement par la gestuelle et la construction des phrases.

Quant au réalisateur, il indique : « Si vous prenez le film qu’en pensant uniquement à l’étape de cerveau d’enfant, alors vous passez à côté de la narration du film. Si vous commencez à analyser le film en pensant à ce qui aurait pu se passer, alors bien sûr que le film ne fonctionne pas ». Il est donc question de ne pas prendre le développement de Bella comme une chose réaliste. J’avoue que j’ai bien du mal avec ça, car c’était justement le point de départ attisant la curiosité : qu’est-ce qui se passerait si un bébé se retrouvait dans un corps d’adulte ?

Question, le nez qui grandit est-il un symbole sexuel ?

Cet élément (difficilement) mis à part, on se retrouve devant une histoire rappelant Pinocchio où un enfant né dans un corps avancé va à la découverte du monde et il lui arrive des galères. Le problème, c’est que la majorité des aventures de Bella concerne le cul, le cul, le cul et un peu de philosophie (bas de gamme, malheureusement).

Dès lors, j’ai senti le temps passer malgré quelques passages assez amusants… C’était beaucoup trop long pour ce qu’il y a à raconter. C’est dommage, car l’idée est excellente. Le traitement au départ l’est également. Voir Bella se confronter au monde réel avec l’innocence d’un bambin est un exercice fascinant. Surtout couplé au fait que, comme elle est une enfant, elle dit ce qu’elle pense et s’interroge devant les absurdités de la société adulte.

Un homme en proie au doute

Il reste quelques passages amusants et surtout, un Mark Ruffalo, absolument génial. Le mec cabotine à mort et il est très drôle. Pour l’anecdote, l’acteur hésitait à prendre le rôle car il ne se sentait pas à la hauteur. Même sur le tournage, il était toujours en proie au doute. Au point qu’il plaisantait en disant que son ami Oscar Isaac, qui tournait une scène dans le coin, allait le remplacer.

Il n’en fallut pas plus à Willem Dafoe, excellent ici, pour lui faire une farce avec la complicité d’Oscar Isaac. Dafoe a amené Ruffalo dans une pièce où Isaac l’attendait, et les deux lui ont expliqué qu’il était viré parce que sa performance n’allait pas et qu’Isaac allait le remplacer.