Critique : L’Ivresse de l’argent

Fiche

Critique

Le début est assez atypique. On y suit un jeune homme à tout faire, employé (pour ne pas dire esclave) par une famille comptant parmi les plus grosses fortunes de Corée (elle pèse à peu près 200 milliards). Dès l’ouverture du film, le réalisateur veut nous enivrer de cette passion pour l’argent en un plan simple mais intelligent. On découvre au même moment et au même niveau que le héros un coffre à taille humaine. A l’intérieur se dresse des tas de billets de banques à ne plus savoir où donner de la tête. Un peu comme si on entrait dans le coffre d’Oncle Picsou (certes le canard cher à Carl Barks a un coffre plus volumineux). Cette visite s’achève sur une réplique cinglante et révélatrice du reste du film : « Sers-toi, tout le monde le fait. ».

Avec L’Ivresse de l’argent, le scénariste/réalisateur Im Sang-soo voulait peindre le portrait d’une famille pouvant se permettre de s’essuyer les fesses avec des billets de 500 euros après avoir fini leurs affaires aux toilettes. C’est une mission accomplie avec beaucoup de finesse grâce notamment à une réalisation sublime doublée d’une splendide photographie et d’un jeu de lumières à tomber dans le noir. Esthétiquement, le film met une petite claque. Une claque qui sera double pour les femmes en découvrant le torse nu de Kim Kang-woo (le loup-garou de Twilight peut aller se rhabiller). Par la suite, on découvre ensuite chaque membre de la famille Picsou Baek: le grand-père, la mère, le père, la fille et le fils. Il ne manquerait plus que la grand-mère et on aurait un jeu de 7 familles complet.

Derrière ce luxe classieux avec notamment beaucoup d’œuvres d’arts exposées faisant de certaines pièces de la maison l’équivalent de salles de musée si certains meubles ne trahissaient pas de leur fonction première. Mais l’impeccable plastique achevé par les membres de la famille au comportement irréprochable (jamais un geste ou un mot qui dépassent) est fragile, le réalisateur découpe cette plastique et nous fait découvrir l’envers de cette richesse déployant un jeu d’intrigues n’ayant rien à envier à une pièce de Shakespeare. Enfin si, juste un peu…

On aborde même au gré d’une séquence, la luxure. Une luxure n’ayant rien à envier à un film porno de la haute, le mari couche avec la bonne (et lui pelote les fesses en plein repas familial), la fille flirte avec le valet, la maman viole ce dernier, l’ami du fils participe à une partouze. Il ne manquerait plus que la scène lesbienne et le cahier de charge « Marc Dorcel » serait rempli. Notons tout de même une extrême stylisation des scènes de sexe les rendant plutôt excitants (du moment que vous ne regardez pas le film avec votre grand-mère).

Malgré une belle volonté d’Im Sang-soo à vouloir brosser une famille gangrenée par l’argent, on a du mal à s’accrocher. L’ensemble expirant un air désagréable de déjà-vu et jamais ne s’envole vraiment. Chaque fois que L’Ivresse de l’argent va s’emballer, il finit par interrompre sa course comme s’il lui manquait du souffle. De cette course sporadique, il en résulte une désagréable frustration (l’adjectif désagréable est-il nécessaire? Je ne connais pas de frustration qui soit agréable) de pratiquer un jogging avec un asthmatique. Malgré toute notre bonne volonté, on finit par être agacé par ce compagnon nous empêchant d’atteindre notre zénitude sportive.

Souhaité par le réalisateur, les acteurs s’exercent tout en retenu déployant une facette de cette richesse où l’apparence est mis sur le piédestal. Cela trahit malheureusement un flagrant manque d’humanité. Dès lors comment nous nous attacher à cette histoire sans empathie (même négatif) pour ces personnages aussi odieux soient-ils. Au point même qu’on est parfois surpris de ne pas réagir lors de la mort de certains protagonistes. Toutefois, l’ensemble se suit sans réel déplaisir jusqu’au bout toutefois le film s’achève sur un final qui m’a laissé vraiment dubitatif…

[spoiler title= »La fin »]Quel intérêt ce plan où on voit qu’Eva ne serait pas morte? L’élément de réponse offert par le réalisateur lors d’une interview est encore plus agaçante : « A la fin, le protagoniste, Young-jak, veut échapper à cette vie faite de mépris. Il y a de la noblesse à vouloir prendre ainsi son envol, mais c’est une autre histoire pour Eva, dont l’existence a été écourtée par le mépris des autres. Que ressentirait Eva, de retour dans sa terre natale grâce à Young-jak, auprès de ses enfants? Je n’aurais pas été surpris de la voir ressusciter comme Jésus, et sortir de son cercueil. »

« Je n’aurais pas été surpris de la voir ressusciter comme Jésus » ? Mais mec, tu l’as ressuscitée avant de nous laisser sur un plan nous faisant comprendre qu’il ne s’agit que d’un fantasme de l’esprit. Quel intérêt?[/spoiler]

Conclusion